T’inquiète Papa, je gère !¶
Papa a passé la journée à taper, dévisser, jurer pour démonter la terrasse en bois. Il a récupéré les morceaux pour en faire un banc et des pots de fleur. Il était très fier de lui. Je sais tout de suite quand papa est content de lui car il voudrait que je fasse pareil que lui. Des fois je lui fait croire que c’est vrai pour être tranquille.
C’est beau ce que tu fais Papa.
Merci mon fils.
Je m’appelle Maxime.
Et il est solide ton banc ?
Bien sûr qu’il est solide !
Et pour me le prouver, mon père saute à pieds joints dessus. J’espère que le banc s’écroulerait aussitôt mais on ne piège pas un ingénieur aussi facilement.
Aurais-tu envie de construire quelque chose toi aussi ? Je pourrais te montrer comment on se sert d’une perceuse et d’une scie.
Papa adore scier. Pas moi. Ca fait plein de bruit et c’est Maman qui est obligée de faire la vaisselle car ses mains pleines d’ampoules lui piquent de partout.
Papa, je sais ce que je vais construire : un bateau !
C’est ambitieux. Tu ne veux pas commencer par quelque chose de plus simple ?
Non, j’ai envie de construire un bateau.
Sais-tu quel bateau tu veux construire ? Un petit bateau, un voilier ?
Tu verras. Mais pour commencer j’ai besoin d’élastiques.
Papa est surpris. Je vois bien qu’il essaye d’imaginer un bateau et des élastiques en même temps sans y parvenir.
Bon, allons acheter des élastiques.
Et nous voilà dehors au magasin de fourniture artistiques. Dans ses rayons, on trouve de toutes sortes d’élastiques. Je saisis une boîte de petits élastique en caoutchouc.
Tu ne veux pas des élastiques plus gros. C’est pour attacher des petites planches ensemble ?
Papa ne voit pas du tout à quoi les élastiques vont me servir.
T’inquiète Papa, je gère.
Papa me regarde interloqué. Je sens qu’il hésite entre une blague où je me moque de lui et la véritable histoire de la construction d’un bateau. Nous rentrons à la maison. Je pose la boîte sur mon bureau.
Bon, fiston, tu veux que je te montre comment on se sert d’une scie ?
Pour quoi faire ?
Et bien pour construire ton bateau !
Pas besoin, maintenant il me faut des petits cailloux.
Mon père répète en chuchotant « des petits cailloux ».
Mais pourquoi des petits cailloux ? Tu veux déjà lester ton bateau pour qu’il garde l’équilibre ?
T’inquiète Papa, je gère !
Et nous voilà dehors encore dans un parc à côté de chez nous. Papa m’imite et regarde le sol en cherchant des petits cailloux. J’accepte volontiers ceux qu’il me tend. D’habitude, Papa me demande de jeter les cailloux dès que j’en ramasse. Aujourd’hui, il les ramasse pour moi.
Voilà tes cailloux mais je ne comprends toujours pas ce que tu vas faire avec des élastiques et des cailloux.
T’inquiète Papa, je gère !
Et maintenant, comment tu vas faire ton bateau ?
Pas tout de suite, Papa, maintenant, il me faut un os de poulet, tu sais celui en forme de Y.
Papa me regarde longuement. Il a très envie que je lui explique à quoi cela va me servir. Je le vois hésiter. Il ouvre la bouche mais avant même qu’un son ne sorte…
T’inquiète Papa, je gère !
Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons à la boucherie pour acheter un poulet fermier élevé en plein air parce que les os des poulets du supermarchés ne sont pas assez résistant pour ce que je veux en faire. Ce soir, il y aura du poulet car Papa veut savoir ce que je vais faire de cet os.
Papa, il me faut l’os du poulet mais pas cuit sinon il ne sera pas assez solide.
J’ai l’impression qu’il va craquer, qu’il va rétorquer que je n’ai qu’à faire la cuisine. Et puis non. Il prend un couteau, coupe dans tous les sens et arrache l’os du poulet en Y. Il me le tend.
Merci, je vais aller finir Mmon bateau.
Papa ne dit plus rien. Il est curieux de voir le bateau.
Tu l’auras fini ce soir ?
Oh oui, je n’en ai pas pour longtemps. Il sera prêt pour le dessert.
Nous mangeons plutôt en silence ce qui est inhabituel. D’habitude, Papa n’arrête pas de nous poser des questions, pourquoi la terre est ronde, d’où vient l’eau de pluie, pourquoi l’emballage des DVD est plus grand que celui des CDs… Papa a toujours plein de devinettes dans la tête. Au dessert, Papa fait chauffer le four, met un gâteau à réchauffer dedans. Il pose des assiettes sur la table. Au moment où il repart à la cuisine.
Aïe, j’ai senti quelque chose.
Il se retourne rapidement, nous regarde attentivement d’un oeil très suspicieux. Comme il ne voit rien, il se penche pour regarder le four.
Aïe, qu’est-ce c’est que ça ? J’ai l’impression qu’on me pince les fesses.
Papa, voyons, c’est impossible, nous sommes à table, tu es à la cuisine. Je n’ai pas les bras aussi longs.
Papa nous regarde toujours d’un oeil suspicieux. Il ne fait rien. Il attend que le four sonne.
Et ton bateau ? Tu n’as pas besoin d’aller le chercher.
Mais il est prêt, tu ne l’as pas vu ?
Non seulement fiston quelqu’un me pince les fesses sans que je comprenne pourquoi et en plus tu me mens…
Mais non Papa, je te mène en bateau.
Et là, je sors l’os de poulet avec un élastique et un petit caillou. Puis je fais mine de m’en servir.
C’est mon bateau.
Vu la tête que Papa fait, je me demande s’il va m’inciter à bricoler à nouveau. Je pense que nous n’aurons pas de poulet de sitôt. C’est dommage.