Les codes secret entre les deux guerres¶
La cryptographie a occupé un rôle discret et important dans l’histoire, au vingtième siècle notamment, elle fut particulièrement active pendant les deux guerres mondiales.
En 1917, l’Allemagne vient de choisir un nouveau premier ministre, Athur Zimmermann. Il est plus agressif que le précédent et prône la guerre sous-marine totale. Il veut détruire tout navire aux abords des côtes anglaises de façon à isoler ce royaume. Il a besoin de six mois pour obtenir la capitulation des anglais. Il est impossible pourtant de distinguer les navires anglais des navires commerciaux américains et si ceux-ci étaient détruits les Etats-Unis ne manqueraient pas d’entrer en guerre. L’Allemagne peut affronter chacune de ses nations séparément mais pas ensemble. Zimmermann imagine alors de créer quelques incidents sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Distraits, ces derniers ne songeront plus à l’Europe. Il part en Finlande envoyer un télégramme à l’ambassadeur allemand à New-York qui le transmettra à son tour au président mexicain. Il aurait préféré utiliser le câble allemand mais celui-ci a été détruit par les anglais. Qu’importe : son code est sûr ! Enfin, c’est ce qu’il croît car le télégramme est intercepté par les Anglais qui parviennent à le décrypter grâce au révérend Montgommery et Nigel de Grey. Ils sont fous de joie, c’est l’élément qu’il leur fallait pour convaincre les Etats-Unis d’entrer en guerre. Au service du déchiffrement, c’est l’euphorie. Au niveau supérieur, on craint qu’utiliser cette information maintenant ne mette la puce à l’oreille des Allemands qui changeront alors ce code que les Anglais savent déchiffrer. On pense alors à intercepter le message décodé au moment où le président mexicain l’aura entre les mains. Ce sera fait un mois plus tard. Quelques jours après, le télégramme est entre les mains du président américain qui n’hésite plus cette fois à débarquer en Europe.
Ce n’est pas la fin de la guerre pour autant et les cryptanalystes auront encore leur mot à dire l’année suivante. Les Allemands sont à 100 km de Paris début juin et ils ont modifié le code dont ils usent pour chiffrer leurs messages. Ils attaqueront la capitale dans les jours qui suivent et les Alliés ne sont pas assez nombreux pour les repousser. Il resterait cependant une chance si seulement la position de l’ennemi était connue. Les Allemands ont avancé rapidement, reprenant le terrain que les forces françaises leur abandonnaient. En se repliant, elles détruisaient tous les moyens de communications pour ainsi forcer les Allemands à utiliser la radio que tout le monde écoute y compris les Alliés. Les Alliés avaient alors accès aux messages codés qu’ils ne restaient plus qu’à déchiffrer. C’est crucial, ce code doit être cassé pour avoir une chance de sauver Paris. Un français, Painvin, travailla sans relâche durant ce printemps 1918, il parvint de manière inespérée à briser le cryptage allemand. A quelques jours près, c’est une victoire, les Allemands avancent maintenant à découvert, la surprise n’est plus dans leur camp.
La guerre est finie. Enfin, presque. Un Allemand nommé Scherbius a compris que le code allemand a été brisé bien qu’il soit toujours utilisé par l’armée. Il croit en un code plus sûr et met au point une machine au début des années 20. L’armée allemande refuse de la lui acheter sous prétexte qu’elle est trop chère, plus de 10000 marks. Il prévoit d’autres versions à usage commercial pour les industries sensibles. Mais c’est en 1926 que l’armée allemande comprend enfin que son code n’est plus sûr depuis longtemps. Les Anglais viennent de le révéler. L’armée allemande investit alors massivement dans cette machine qu’on nomme Enigma. Et à partir de ce moment-là, aucun pays voisin de l’Allemagne ne comprendra plus un seul mot. Des agents français parviennent malgré tout à voler les plans de cette machine de cryptage mais ils ne les aident pas à déchiffrer les communications ennemies. Les Français, les Anglais ont après la guerre réduit drastiquement leur service de déchiffrage, ils abandonnent et déclarent le code Enigma inviolable. Les Allemands envoient par delà leur territoire, chaque mois, des carnets chiffrés de codes, un par jour qui change invariablement à minuit. Pour les vainqueurs de la première guerre, l’armée allemande est insondable.
Seule la Pologne refuse de baisser les bras. L’Allemagne reprend des forces, l’ombre du nazisme s’étend sur tout le pays et la Pologne a de tout temps été en première ligne. Elle doit absolument casser le code Enigma. Un mathématicien y croit, Rejewski. Il utilise la trop grande prudence des Allemands qui répètent dans chaque message une clé de trois lettres. Bien qu’elle soit chiffrée elle aussi, bien que les six premières lettres soient différentes, elles sont le résultat du chiffrement de trois lettres suivies des trois mêmes. Il faudra trois ans de labeur à Rejewski pour parvenir à utiliser ce zèle de l’administration allemande. En 1933, les Polonais lisent enfin les Allemands. Ils seront les seuls six années durant.
En 1939, les Polonais comprennent que la fin est inéluctable. Les Allemands sont à leur porte. Ils invitent les Anglais et leur dévoilent qu’ils comprennent Enigma depuis plusieurs années déjà. Les Anglais, stupéfaits, repartent à Londres avec tous les résultats de Rejewski. Quinze jours plus tard, la Pologne est envahie.
A Londres, on s’active maintenant. On recrute à tout va des cryptanalystes. On lance des concours de mots-croisés dans les journaux. Les plus rapides sont recrutés, ils sont réputés pour faire d’excellents briseurs de code. On croise de tout dans ces sous-terrains où sont acheminés tous les messages interceptés dans le camp allemand, des historiens, des joueurs d’échecs, des linguistes, des mathématiciens…
On y croise aussi un certain Turing. Le décodage d’Enigma repose encore sur cette répétition des trois premières lettres mais les Anglais soupçonnent que l’administration allemande mettra fin bientôt à cet excès de zèle. Turing est chargé de casser le code Enigma sans utiliser cette double information. Il cherche depuis 1939 et trouve un an plus tard une faille dans le code Enigma. Il construit alors des bombes, comme celle de Rejewski, des automates mécaniques dont la tâche est de calculer, branchés à des répliques d’Enigma construites par les Anglais selon les plans remis par les Polonais. Le 8 mars 1941, ces bombes sont prêtes. Mais elles sont trop lentes. Il leur faut plusieurs jours pour déchiffrer Enigma. Il faut les accélérer or le 8 mai, les Allemands viennent de supprimer la répétition des trois lettres. Les Anglais sont aveugles et sourds jusqu’au début du mois d’août. Depuis, chaque jour, les bombes de Turing tournent depuis le début de la nuit et livrent quelques heures plus tard la clé du code Enigma.
Mais cela ne veut pas dire que les Anglais sont capables d’écouter toutes les communications. La marine allemande utilise des versions d’Enigma plus élaborées. Les bombes de Turing sont encore trop lentes pour parvenir à bout de toutes les clés possibles. Il ne reste plus qu’une option : intercepter les codes allemands dans un de leurs sous-marins. Même Ian Fleming, l’auteur de James Bond est mis à contribution. Son plan est sur le point d’être exécuté alors qu’un sous-marin allemand est en perdition. C’est une aubaine inattendue. Les codes allemands sont récupérés. Naviguant désormais à l’écart de l’ennemi, les détruisant avec parcimonie, les Allemands soupçonneront bien parfois qu’un espion a infiltré leur marine mais jamais que leur code si sûr a été cassé. Le jour du débarquement, les Alliés sauront précisément la position des blindés et des sous-marins allemands. De l’avis des experts, le déchiffrement du code Enigma a permis d’écourter la guerre d’une à deux années. Les Allemands étaient sur le point d’utiliser à plus grande échelle les missiles V1 et V2.
Les Etats-Unis ne sont pas en reste. Ils disposent d’un code plus complexe encore qu’Enigma. Il est inviolable mais si peu pratique. Il faut plusieurs minutes pour coder et décoder un message. Sur le champ de bataille, c’est l’assurance de la plus grande cacophonie. Il faut absolument mettre au point un code plus rapide et sûr. Ce sera la langue des Navajos. Elle n’est que parlée, pas écrite et aucun étudiant européen n’a daigné se pencher sur l’étude de cette langue, encore moins les Allemands ou les Japonais. Comme elle n’est simplement pas adaptée, quelques centaines de mots nouveaux vont venir s’ajouter au vocabulaire des Navajos que l’on forment à la transcription codée des messages. On prévoit également une manière d’épeler les mots imprévus. De l’aveu des Japonais, ils n’ont jamais réussi à comprendre ce cryptage.
Que reste-t-il de toute cette histoire ? Quelques bribes… Tout fut détruit. En 1945, l’ENIAC vit le jour, il est considéré comme le premier ordinateur. En 1943, un mathématicien Newman, un ingénieur Flowers, mettaient au point une machine appelé Colossus qui permettait de casser le code de Lorentz utilisé par l’état major de Hitler pour chiffrer leurs messages. Cette machine disparut après la guerre comme toutes les bombes de Turing et aucun des participants ne fut autorisé à en parler. Les Navajos mirent plusieurs dizaines d’années à faire reconnaître leur rôle durant cette guerre. Turing retourna à l’université dans un univers où les moe urs étaient devenues plus strictes. Son homosexualité fut décriée. Il devint obèse à cause de traitements médicamenteux qu’on lui imposait et se suicida. Rejewski découvrit après la guerre l’utilisation qui avait été faite de ces travaux, bien que présent en Angleterre, il en avait été tenu éloigné. Les machines Enigma saisies aux Allemands furent envoyées dans leurs colonies par les Anglais qui déchiffrèrent leurs messages pendant près de 20 ans.
Dans les années 1970, les cryptographes ont mis au point des algorithmes qui ne nécessitaient plus la connaissance de clés. Le plus connu, l’algorithme RSA, fonctionne sur une clé publique et une clé privée. Une personne, Alice, fabrique une clé publique et une clé privée. Bernard, qui veut envoyer un message à Alice, utilise la clé publique d’Alice pour crypter un message selon l’algorithme RSA. Ce message ne peut être décryptée que grâce à la clé privée que seule Alice connaît.
L’histoire de cet algorithme rappelle celle de Colossus. Inventé par Rivest, Shamir, Adleman en 1977, il l’avait déjà été par Ellis, Cocks, Williamson quatre années auparavant. Leurs travaux ne furent reconnus qu’en 1997, près de 25 ans après leur découverte, car ils faisaient partie du Government Communications Headquarters (GCHQ), la cellule secrète anglaise chargée du déchiffrement reconstruite après la seconde guerre mondiale. Ellis écrira un jour :
La cryptographie est une science peu ordinaire. La plupart des scientifiques cherchent à publier les premiers les résultats de leurs travaux parce que c’est à travers leur diffusion que ces travaux prennent toutes leurs valeurs. Au contraire, la plus grande valeur en cryptographie est atteinte en dissimulant l’information à des adversaires potentiels. Aussi les cryptographes professionnels travaillent habituellement en cercle restreint pour se procurer mutuellement l’interaction nécessaire à la qualité de leurs recherches, tout en restant protégés des concurrents. La révélation de ces secrets n’est généralement autorisée que dans l’intérêt de la vérité historique et lorsqu’il est démontré qu’aucun bénéfice supplémentaire ne pourrait être tiré d’une prolongation de ce secret.
Tous les éléments de cette histoire ont été tirés de Histoire des codes secrets écrit par Simon Singh,
L’avenir… Il semblerait que l’algorithme RSA soit sûr encore un petit bout de temps jusqu’à l’invention de l’ordinateur quantique, beaucoup plus rapide que ceux que nous connaissons actuellement. Et pourtant, il semblerait que la cryptographie ait trouvé l’algorithme de cryptage imparable : la cryptographie quantique qui révèle également si une tierce personne est en train d’écouter la communication. Toutefois, cette méthode nécessite le transport de quelques photons polarisés, accessible sur quelques kilomètres, utopique encore entre deux continents.