C’est quoi les données, c’est quoi le Big Data ?

Dans le film Bienvenue à Gattaca, le héros joué par Ethan Hawke doit non seulement faire disparaître ses traces mais aussi laisser celles de celui dont il usurpe l’identité. La moindre inattention peut jeter le doute voire dévoiler le stratagème. Une empreinte digitale inattendue interpelle immédiatement. Comme c’est inattendu, il faut lui trouver une explication.

La donnée : c’est une information juste avant qu’elle ne devienne partie intégrante d’une histoire, juste avant qu’on l’interprète. Et comme le suggère ce film, on en laisse partout et tout le temps. On en génère tellement qu’on est forcé de ne pas y prêter trop attention. La moindre connexion internet, la poussière sur le plancher, la température de l’eau, la fuite d’air à la fenêtre. C’est une donnée dès qu’on la décrit. Il y en a tellement qu’on les oublie rapidement. C’est juste un fait divers.

Mais pourquoi sont-elles si populaires maintenant ?

Une des raisons est qu’elles restent plus longtemps. La poussière sur mon plancher disparaît avec l’aspirateur. La connexion à un site internet restent plusieurs mois dans plusieurs fichiers de plusieurs machines différentes. Ces données numériques ont la vie dure. Ca n’explique pas pourquoi elles sont populaires. Seulement, du fait qu’elles restent plus longtemps, on a plus de temps pour les observer et leur donner du sens.

Comment donne-t-on du sens aux données ?

Les statistiques y sont pour beaucoup même si ce terme n’est pas une explication en soi. David Hume dans Enquête sur l’entendement humain nous apporte quelques éléments de réponses. Nous sommes tous très amnésiques mais une des façons qui nous permet de retenir est la répétition. Une observation, une donnée, commence à prendre du sens dès qu’elle se répète. Pour citer Hume :

De causes qui paraissent semblables, nous attendons des effets semblables. Telle est la somme de toutes nos conclusions expérimentales.

Les marins utilisaient les étoiles pour se repérer. Ils ont su associer la position d’une étoile dans le ciel (une donnée) de la même étoile à la même position une année plus tard (la donnée est répétée). C’est le début de la connaissance : chaque année, la même étoile est à la même position dans le ciel. On peut l’utiliser pour se repérer.

Et Big Data ?

La somme des données qui se rapporte à la même personne est quasiment infini. Seulement, aujourd’hui, elle persiste. Qu’en faire ? C’est tellement énorme que ce serait comme découvrir toute la voie lactée le même jour. Il faudrait une vie pour l’étudier… Sauf que… on a maintenant des ordinateurs qui font plein de calculs très rapidement. Alors on reprend notre cher Hume : on se répète beaucoup ! On fait presque tous les jours la même chose, et si ce n’est pas tous les jours, c’est toutes les semaines. Nous avons une vie rythmée - au sens musical -. Alors en comparant toutes les journées entre elles, et avec un bon ordinateur, on arrive à déterminer les habitudes et les goûts de chacun.

Et alors ?

Et bien c’est d’abord très drôle. On porte un bracelet au poignet qui enregistre les déplacements. On peut compter ses pas, enregistrer son poids tous les jours. C’est un peu comme si découvrait qu’on n’était plus intéressant que le voisin parce qu’on découvre plein de choses sur soi-même. Et le voisin, il n’est plus aussi intéressant ? Si si toujours, mais c’est lui qui nous montre sa courbe de poids, alors ce n’est plus aussi drôle. Et puis, quand on mange un carré de chocolat, on peut le mesurer tout de suite. Et ça c’est fun.

Autrefois si éphémères, les données sont quasi éternelles, et elles disent beaucoup de choses. Votre enfant sera peut-être dans 25 ans archéologue numérique. Les listes des relevés de cartes bleues pourraient permettre tout à la fois d’ajuster un régime alimentaire mal équilibré qu’à prédire la probabilité d’avoir un cancer (sauf si vous achetez toujours tout y compris votre whisky préféré en liquide).

  • Tu as vu le Monde aujourd’hui ? Les français prennent du poids à Noël !

  • Incroyable, ils ont piraté ma balance numérique !

  • Euh… tu es sûr ?

Les données, d’accord… et le bruit alors ?

C’est Agatha Christie qui nous apporte la réponse. Hercule Poirot avait coutume de dire que le meurtrier est un homme parfaitement normal qui cherche justement à l’être le seul jour où il ne l’est pas. Il pense à chaque instant à gommer tout ce qui pourrait éveiller les soupçons. S’il avait envie de manger une petite gâterie, il y renoncera car d’hatitude, il prend un jambon beurre à midi. Le meurtrier évacuera pour une journée toute fantaisie. Et pourtant, ce sont tous ces petits aléas qui font qu’une journée est parfaitement normale, tous ces petits détails qu’on n’est incapable de retenir, tous ces petits détails qui, parfois, sont remarqués par votre collègue car justement ils sortent de l’ordinaire. Mais si toute la journée, un meutrier pense à son crime, il n’y a plus de relâchement possible et il va chercher à gommer ces petits aléas qui attirent l’attention. En fin de compte, il aura paru tout à fait normal, bien trop normal pour être vrai, d’après Hercule Poirot. Le bruit, ce sont les fausses notes de la journée par rapport à une journée parfaitement normale, fausses notes délicieuses pour toute personne sensée, fausses notes malheureuses pour tout statisticien sensé.