Anecdotes Sociologiques¶
Des histoires sociologiques, un peu de bon sens et quelques surprises.
Prénoms¶
Extrait de Freak Economics, Steven D. Levitt, Stephen J. Burner.
Les auteurs observent une alternance cyclique dans le choix des prénoms. Les parents au statut social et économique élevé choisissent des prénoms originaux et moins fréquents. Les parents au statut social et économique faible choisissent des prénoms portés par des personnes dont la réussite est reconnue au moment de la naissance. Il s’ensuit une forme d’alternance périodique.
Pour simplifier, les personnes aisées choisissent des prénoms peu fréquents. Ces mêmes prénoms sont massivement choisis par les personnes en bas de l’échelle sociale quelques dizaines d’années plus tard alors qu’ils sont abandonnés par les premiers car devenus trop fréquents.
Une des conséquences de cette alternance est une forme d’a priori sur le prénom : celui-ci reflète dans l’inconscient une forme de réussite ou non selon qu’il appartient à la classe des prénoms rares ou fréquents. Cet a priori n’est pas neutre lors des entretiens d’embauche. Extrait :
What the California names data suggest is that an overwhelming number of parents use a name to signal their own expectations of how successful their children will be.
Les gens sont honnêtes à 95%¶
Extrait de Freak Economics, Steven D. Levitt, Stephen J. Burner.
C’est l’histoire de Paul Feldman qui apportait tous les matins des bagels à la cafétéria des bureaux de son employeur en laissant une petite corbeille à côté pour y recueillir le dollar qu’ils lui avait coûté. Il récupérait ainsi 95% de la somme escomptée. Le manque à gagner s’expliquait par la distraction des gens et non leur intention de voler le bagel.
Licencié, il décida de monter une société sur ce principe : fournir chaque matin des bagels à nombre d’entreprises puis récupérer plus tard l’argent laissé dans chaque corbeille qu’il mettait en évidence à côté de celle des friandises. Il avait pour lui quelques années d’expérience et une estimation plus que probable du taux de non paiement. Il put ainsi établir un classement des entreprises les plus honnêtes. Au-dessus de 90%, une compagnie était honnête, entre 80% et 90%, le taux d’impayés était tolérable, en deçà de 80%, il envoyait une lettre d’avertissement. Etonnamment, les gens volaient les bagels mais rarement l’argent de la corbeille. Après les attentats du 11 septembre 2001, le taux de bagels impayés décrût de plus de 10%. Feldman put aussi dire que les petites entreprises - celles où tout le monde se connaît - étaient plus honnêtes que les grandes.
Une entreprise lui permit également d’établir un classement des employés les plus honnêtes. Leur immeuble comportait trois étages dont le dernier contenait la direction avec peu de mélange entre les différentes catégories d’employés. La direction était celle qui payait le moins. Il put également établir que les gens payaient moins pendant Noël et Tanksgiving mais payaient plus lors du 4 juillet, le Labor Day et le Columbus Day.
QCM et triche¶
Extrait de Freak Economics, Steven D. Levitt, Stephen J. Burner.
Les auteurs décrivent un système de notation introduit aux Etats-Unis pour noter les performances de chaque élève sur tout le territoire. De ce test dépendait les subventions attribuées à tel ou tel école, les primes accordées à tel ou tel professeurs. Ainsi, chaque point de moyenne gagné par un professeur lui donnait droit selon les Etats à une prime d’environ 20 000 dollars. Rien d’étonnant dans ce contexte à ce que les professeurs, qui saisissaient eux-mêmes les réponses de leurs élèves, se soient mis à tricher pour améliorer artificiellement les résultats de leurs classes.
Des chercheurs ont étudié les performances de chaque classe sur quelques années pour observer quelques améliorations surprenantes notamment pour certains mauvais élèves. Ils ont aussi regardé les réponses des élèves d’une même classe qui parfois avaient exactement les mêmes réponses - bonnes ou mauvaises - à une série de questions consécutives. Cette étude leur permit de construire un score exprimant le taux de falsification des résultats d’une classe.
Pour valider leurs hypothèses, ils demandèrent à 120 classes de repasser sous un prétexte destiné à ne pas éveiller l’angoisse des professeurs. Parmi ces 120 classes, certains professeurs avaient triché, d’autres pas. Les résultats des seconds devaient servir de témoins tout comme les réponses aux premières questions faciles. Les conditions du test étaient aussi différentes : les sujets ne seraient pas découverts à l’avance, les copies seraient aussi ramassées sans que le professeur n’y ait accès. Cette expérience permit d’affiner les modèles qui devaient détecter les tricheurs.
Une anecdote : comme les professeurs recevaient les énoncés à l’avance, une façon de tricher revenait à réécrire les énoncés des questions de façon que le numéro de la bonne réponse ne change pas mais qu’elle soit nettement plus facile à trouver. Par exemple :
Selon vous, quel est le meilleur entraîneur assistant de première division ? (basketball)
Le respect n’a pas de prix¶
Extrait de Freak Economics, Steven D. Levitt, Stephen J. Burner.
En Israël, une crèche devait garder les enfants dont les parents arrivaient en retard le soir. Ces retards n’étaient pas systématiques mais avaient pour conséquence le paiement d’heures supplémentaires aux employés de la crèche.
Afin de sensibiliser les parents à ce problème récurrent, il fut décidé d’augmenter la côtisation des parents en fonction de leur retard. Pour les plus distraits, la facture pouvait se monter à 10% de leur côtisation mensuelle. Ce prix, inférieur au coût de revient, avait pour but d’inciter les parents à être plus ponctuels qu’auparavant.
Au lieu de diminuer, les dépassements augmentèrent. Les parents n’éprouvaient plus de culpabilité en cas de retard. Une augmentation du prix des heures supplémentaires n’eut pas plus d’effet. Et ce surcroît d’heures n’était pas du tout souhaité par le personnel de la crèche qui décida de revenir à l’ancien système : les retards redevinrent sans conséquence financière. Pourtant, ils ne diminuèrent pas. Le sentiment de culpabilité initial avait disparu définitivement comme toute incitation à venir chercher ses enfants à l’heure.
Campagne de sensibilisation¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Dans les années 1960, un psychologue voulait étudier l’impact de deux campagnes de sensibilisation à propos de la vaccination contre le tétanos. Il divisa des étudiants de Yale en différents groupes. Chacun d’eux reçu un livret de sept pages expliquant l’intérêt de la vaccination contre le tétanons. Le livret le plus effrayant insistait sur les conséquences de la maladie et était illustré par des images plutôt horribles d’enfants atteints de cette maladie. A l’opposé, d’autres livrets contenait un message plus pédagogique, plus centré autour du raisonnement qui justifiait la vaccination. Lorsque les étudiants furent interrogés sur leur volonté de se faire vacciner, sans surprise, ceux qui avaient reçu le livret illustré se montrèrent plus volontaires. Toutefois, après un mois, seuls 3% des étudiants furent vaccinés, quelque soit le livret qu’ils aient eu entre leurs mains. Le psychologue recommença l’expérience en ajoutant une carte situant les différents emplacement sur le campus où il était possible de se faire vacciner. Le taux de vaccination grimpa à 28% sans que l’on puisse départager les lecteurs des livrets.
The Distractor¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Dans les années 1960, une expérience fut menée pour mesurer l’attention des enfants face à une émission de télévision. Un groupe d’enfants était introduit dans une pièce qui ne contenait qu’un poste de télévision. On mesurait alors l’attention des enfants et plus précisément le temps qu’ils passaient à le regarder. Dans une autre pièce, des jouets distrayait l’attention des enfants mais on mesurait toujours le temps qu’ils passaient à regarder la télévision. De 85% sans jouets, l’attention tombait à 47% avec les jouets. Lorsque le psychologue demanda aux enfants ce qu’ils avaient retenus de l’émission qu’ils venaient de voir, les réponses ne permirent de départager les deux groupes d’enfants. Ceux qui avaient profité des jouets avaient retenu autant d’informations que les autres, distribuant leur attention entre la télévision et les jouets de façon étonnament efficace.
Cette expérience servit d’inspiration au Distractor et pour une émission en particulier Sesame Street. Deux enfants devaient regarder la télévision, juste à côté, un autre écran diffusait des images. Un adulte observait la scène et notait fois chaque qu’un enfant portait son attention sur les images. Lorsque l’image changeait, toutes les sept secondes et demi, l’observateur reprenait sa notation. On pouvait ainsi évaluer l’intérêt que l’enfant portait à l’émission. Un programme de 25 minutes donnait lieu à une courbe de 400 indications : l’enfant avait-il tourné la tête durant les sept secondes et demi précédentes. En sommant chacune de ses informations binaires, on construisait une forme de courbe d’intérêt de l’émission. Ce procédé, utilisé pour noter une émission, validait toutes les émissions qui dépassait 85% d’attention. Toute émission en deça de 50% devait être réécrite.
Traquer les petits délits¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Le livre s’attarde sur la politique menée par la ville de New-York dans le quartier de Manhattan entre les années 1984 et 1990. A cette époque, la ville connaissait une criminalité embarrassante particulièrement dans le métro. Plutôt que de concentrer leur énergie sur les crimes graves, la police choisit de diriger son effort vers la réduction des graffitis qui en était l’emblême d’après leur analyse. Ils expérimentèrent plusieurs méthodes de nettoyage qui leur permirent, une fois au point, de nettoyer dans la journée la plupart des graffitis commencés la nuit précédente. Il fallait environ trois jours pour achever un graffiti, la police ne laissait simplement plus le temps nécessaire à l’achèvement de ces oeuvres. Leur nombre décrût considérablement. Le second cheval de bataille fut les resquilleurs, les passagers qui prennent le métro sans payer. Jusqu’à présent, leur arrestation était compliquée, l’amende trop faible pour que l’on se préoccupe de leur courir après. Un bus fut spécialement créé pour gérer ces cas, il n’était plus besoin de se rendre au poste de police, l’essentiel des formalités administratives se réglaient dans ce bus et en moins d’une heure, le cas d’un resquilleur était traité. Le nombre de resquilleurs décrût et, bien que la police n’eût pas concentré son attention sur les crimes plus graves, leur nombre décrût aussi. La police, en réprimant les petits délits, marquait sa présence et incitait les délinquants plus dangereux à rebrousser chemin.
En 1994, avec l’élection du Rudolf Guliani, la même politique fut appliquée à grande échelle. Plutôt que de traquer les crimes graves, la police portait son attention sur les petits délits, ceux qui rendent le quotidien pénible, vitres brisées, graphitis, jet de bouteilles sur la voix publique… Le même phénomène fut observé : la criminalité décrût bien qu’elle ne fût pas la première cible. Mais indirectement, la ville de New-York adressait le message d’une police présente aux criminels les plus dangereux.
150 : la taille critique¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Il existerait une taille critique au delà de laquelle la structure d’un groupe, une communauté, une entreprise deviendrait instable. Au delà de 150 individus, cette structure perd de sa cohérence et se divise. Lorsque Bell voulut définir les numéros de téléphone, il choisit sept chiffres : assez pour attributer un numéro à chacun et à la fois pas trop de sorte que chacun soit capable de mémoriser les numéros de ses amis sans faire d’erreur. Un individu serait capable de mémoriser les relations au sein d’un groupe de 150 invidividus. Au delà, il ne serait plus en mesure d’avoir une image assez précise du groupe auquel il appartient, pas suffisamment précise pour se sentir à l’aise avec chacun d’eux. Au delà de cette limite, il y a des déperditions de mémoires.
C’est ce principe qui a été appliqué avec succès par l’entreprise Gore (voir aussi Gore sur Wikipedia) qui fabrique le Gore-Tex. Son patron a construit son entreprise autour de petites unités de 150 personnes, toutes géographiquement proches les unes des autres et aussi suffisamment éloignées pour que chacun ait sa propre identité. Chaque fois que la décision se présentait, le patron Wilbert L. Gore, plutôt que d’agrandir une usine existante, préférait en construire une nouvelle, toujours dans la limite des 150 personnes.
Les relations hiérarchiques étaient beaucoup moins formelles que dans des usines plus vastes. Tout le monde se connaissant, la vie sociale était plus riche, les gens se retrouvaient à la cafétéria, le soir. La cohésion au sein de l’usine était plus forte. Un problème n’était plus signalé via la voie hiérarchique car il était plus commode de s’adresser directement la personne qui devait le résoudre. Chercheurs, ouvriers, commerciaux : tous appartenaient à la même entité.
L’architecture des bâtiments reflétait également cette organisation : les bureaux de la direction n’étaient pas plus spacieux que les autres. Les angles et leur multiple fenêtres étaient des salles de réunions. Ce système avait un impact positif sur le turn-over dans les usines qui était inférieur de deux tiers à la moyenne observée dans ce secteur d’activité économique.
Magasins de proximité et stratégie économique¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Airwalk est une marque de chaussures qui commença à faire parler d’elle dans les années 1990. Même si leurs chaussures éaient en vente partout, leur stratégie marketting était de réserver les chaussures les plus innovantes aux petits magasins spécialisés qui recevaient les nouveaux modèles en priorité. Les grandes surfaces vendaient des chaussures moins chères mais vieilles. Une campagne de marketting permit de faire décoller la marque en 1995-1996 si bien qu’il y eut des ruptures de stock. Cette situation ne fut pas bien perçue de la part des petits magasins qui promouvaient la marque. Ils ne se sentaient plus aussi privilégiés qu’avant. La deuxième erreur intervient lorsque la marque décida de ne plus faire la distinction entre grandes surfaces et magasins spécialisées. Elle perdit le soutien des magasins spécialisés. Airwalk alors perçue comme une marque innovante perdit ce qualificatif. Les ventes baissèrent en 1997.
Le suicide et son message¶
Extrait de The Tipping Point, Malcom Gladwell
Many patients who attemps suicide are drawn from a section of the community in which self-aggression is generally recognized as a mean of conveyring a certain kind of information. Among this group the act is viewed as comprehensible and consistent with the rest of the cultural pattern… If this is true, it follows that the individual who in particular situations, usually of distress, whishes to convey information about his difficulties to others, does not have to invent a communicational medium de novo… The individual within the « attempted suicide subculture » can perform an act which carries a performed meaning; all he is required to do is invoke it. The process is essentially similar to that whereby a person uses a word in a spoken language.
L’année 2010 a commencé par une vague de suicide chez France Telecom. Le premier réflexe de tout un chacun confronté à l’annonce d’un suicide est de chercher un message, d’en comprendre les raisons. Celui qui prend cette décision le sait bien. Le suicide est reconnu implicitement comme un moyen d’expression par la société. Et lorsque quelqu’un en situation de détresse a épuisé tous les autres moyens d’expression, il se tourne vers celui-là car il est reconnu comme tel.