Le déménagement virtuel¶
Papa est enchanté car nous avons enfin déménagé. Il ne cesse de répéter qu’il est ravi du changement même si nous habitons la même rue. Papa me houspille à chaque fois que je dis ça mais c’est vrai que notre appartement est maintenant avenue d’Amsterdam alors que nous vivions rue d’Amsterdam à Paris. Mais comme dit Papa, c’est une avenue maintenant et pas une rue. Quoiqu’il en soit, je ne cesse de constater que tout est pareil.
Hier, nous sommes allés achetés des vêtements puisque nous avons perdu des petites choses dans l’océan comme dit Maman. Nous avons franchi la porte d’un magasin qui portait le même nom. Puis nous sommes allés au restaurant car la cuisine de notre nouvel appartement n’était pas prête et le restaurant portait le même nom que celui de Paris. Le serveur parlait le même italien. Pour le goûter, nous avons pris le métro pour aller manger une glace dans le parc et nous sommes allés au cinéma voir un dessin animé en version originale.
Au bout de quelques jours passé à New-York, j’attendais de faire quelque chose de vraiment différent. A chaque fois que je rentrais les pieds dans un magasin pour remplacer quelque chose avalé par l’océan, je furetais partout dans le magasin à la recherche d’un objet que je n’avais jamais vu auparavant. Même lorsque Papa a cassé son téléphone, il a pu le faire réparer. Tout ce qui a changé, ce sont les prises de courant.
Mes parents étaient de plus en plus contents et s’il m’arrivait de leur demander pourquoi on avait déménagé, j’avais droit à des réponses farfelues. « Respire-moi cette ville ! » Tout ce que je respirais, moi, c’était l’odeur des pots d’échappement. Lorsqu’ils étaient sérieux, Papa et Maman me disaient que New-York étaient pour eux une opportunité. C’est compliqué à comprendre une opportunité surtout quand rien n’a changé. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’ont changé de travail. Papa et Maman étaient économistes à Paris, ils sont économistes à New-York.
Il y a aussi des choses qui n’ont pas du tout changé. Quand je vais sur internet, ils me surveillent tous les deux. Ils me disent qu’ils essayent de comprendre comment je me sers d’internet. Hier, je leur ai encore montré comment télécharger de la musique et ils m’ont encore expliqué que leur travail consiste à réfléchir à un nouveau prix pour la musique et les films. On ne se comprend pas beaucoup parfois.
Comme je n’arrêtais de leur répéter que je ne comprenais toujours pas pourquoi on n’avait déménagé, Papa et Maman sont partis dans une grande explication. Tu vois, l’économie est en train de beaucoup changer. Avant, tout le monde achetait quelque chose de physique, un disque, un sèche-cheveux. On achetait des objets. Du coup, tout était facile à compter. Aujourd’hui, comme il est très facile de copier, on n’arrive plus à compter combien de fois on vend une chanson, que des usines construisent des copies de sèche-cheveux aussi sûrement qu’un film qu’on télécharge. Et c’est pour ça que tout est pareil des deux côtés de l’océan. On ne déménage plus rien, on remplace par des copies dans une autre ville. Ce qui est important, ce n’est plus l’objet, c’est l’idée. Et comme je montrais une mine plutôt circonspecte, Papa empoigna la porte pour la fermer si lourdement que la poignée tomba. Je n’avais pas encore remarqué, mais c’était les mêmes poignées qu’à Paris, sauf qu’ici, l’idée était plutôt mal fixée.
Le lendemain, Papa a remplacé la poignée par une autre différente. Il m’a dit que ce serait le premier changement. Et puis l’école a recommencé. Mes amis n’étaient plus là. Maintenant, je suis le chouchou de la classe car je suis français.