2013¶
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Arrêtez-le [l’acteur], demandez-lui de vous répétez cette réplique qu’il dit au premier acte de la pièce qu’il joue avec un regard de haine splendide et bouleversant, et vous verrez soudain devant vous un homme étonné et intéressé à la fois, mais qui, de toute évidence, a oublié ce dont vous lui parlez.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Tu deviens alors le miroir de leur contentement. Ils s’identifient à toi, ils te divinisent, ils t’admirent.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Il y avait dans la salle neuf spectateurs à l’orchestre, quatre aux galeris. Sur les treize, trois d’entre eux étaient venus pour assister à la pièce de Crommelynck, cinq avaient déjà vu Knock. On dut parlementer, on s’arrangea et nous jouâmes Knock, ce jour-là, pour treize spectacteurs.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
[Jules Romain] Ecoutez, vos idées sont très intéressantes, mais je ne peux pas précisément vous dire comment je voudrais voir jouer ma pièce : je ne peux pas le savoir encore ; en ce moment, je ne pourrais vous expliquer ce que je veux. Mais, pendant les répétitions, je vous dirai très bien ce que je ne veux pas. Commencez donc à la distribuer ; montrez-moi les acteurs que vous choisirez, et, quand ils répéteront, ce sera très simple.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Depuis vingt-cinq ans qu’il m’a été donné de jouer Knock, je n’ai jamais pu avoir avec lui la moindre conversation, le plus petit dialogue.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Knock est pour ses interprètes un entraînement, une méthode d’assainissement, c’est, au sens noble où l’entend Aristote, une « purgation », une purification qui contrôle ou maintient l’état de santé de la Compagnie.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Je ne crois pas à la mise en scène. Pendant des années, cette croyance m’a fait vivre. C’est de l’avoir perdue aujourd’hui que je me rassure, que je m’assure et que je vis. Comme beaucoup de certitudes, cette croyance n’était qu’un abusement et une prétention. Ma foi, épurée de ce schisme, est maintenant différente.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Le grand Renoir avait huit ans lorsqu’on l’emmena au Théâtre du Gymnase assister à une pièce qui se passait - déjà - dans un salon moderne, avec des meubles exacts : fauteuils somptueux, cheminée en staff, miroirs de Saint-Gobain, plantes vertes, piano. Tout était authentique pour cette présentation nouvelle.
Il n’y goûta aucun plaisir. On le remarquera triste, las, fatigué. Surpris de son manque d’enthousiasme, on s’étonna, on l’interrogea, on s’enquit. On lui rappela traits par traits, tout ce qui aurait dû le distraire : toilettes, comédiens et comédiennes, le rideau qui monte et le rideau qui baisse, et la rampe, la salle et son lustre, les merveilles des loges, les girandoles, les cariatides, les ouvreuses avec leurs jolis bonnets et les programmes… Rien ne semblait avoir obtenu son adhésion, rien absolument rien… Rien ne paraissait l’avoir charmé.
Cet enfait devait être une manière de monstre.
On voulut savoir, comprendre, pénétrer son cas. Peut-être Auguste était-il malade à l’insu de ses parents ? Quelles mystérieuses et imprévisibles raisons l’avaient empêché de partager l’allégresse générale, le contentement unanime ? D’où venait venait son dégoût ? On lui avait mis l’habit neuf qu’il aimait tant. Ses chaussures ne lui faisaient pas mal. Il avait sucé avec plaisir, pendant la soirée, les berlingots achetés à l’entrée. On lui avait cédé, chaque fois qu’il le demandait, les précieuses lorgnettes à monture de nacre. C’était incompréhensible.
Après un long moment d’hésitation, lentement, à voix basse, dans une sorte de sanglot, un aveu finit, enfin, par monter du fond de sa petite poitrine. Le visage douloureux, désespéré, au bord des larmes, il dit : « C’était un vrai piano. »
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Oublié par son public, le théâtre espagnol a perdu l’éclat de sa représentation et de ses cérémonies. Cette déchéance, ce mépris apparent des comédiens et des gens de théâtre, cette insouciance pour des chefs-d”oe uvre du Siècle d’Or, n’ont d’autre cause que l’absence de critique ou de conversation dans le moment où ses ouvrages ont été créés.
Privés des polémiques et des examens qu’on infligeait aux premiers essais de Corneille ou de Molière, des cabales que subissait Racine, le théâtre espagnol est rapidement tombé en désuétude. Il est, aujourd’hui, périmé pour les comédiens et pour le public.
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre (2013)
Le héros de théâtre n’est pas intéressant seulement dans la mesure où il est obscur, mais dans ce qu’il a d’inaccessible et surhumain.
[…]
Personnages ou héros, ils entrent dans la légende parce qu’ils ont abordé un certain aspect, un certain débat métaphysique, une compréhension essentielle aux buts et aux moyens de vivre des hommes. Le héros prend une attitude résolue envers les questions éternelles.
Serge Halimi, Renaud Lambert, Frédéric Lordon, Economiste à gages (2013)
[Jean-Marc Sylvestre] En économie, ce n’est pas la réalité qui compte. C’est la façon dont on imagine la réalité.
Serge Halimi, Renaud Lambert, Frédéric Lordon, Economiste à gages (2013)
[Albert Hirschman] La première pose que toute action qui vise directement à améliorer un aspect quelconque de l’ordre politique, social ou économique ne sert qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger ; la deuxième que toute tentative de transformer l’ordre social est vaine ; la troisième que le coût de la réforme envisagée est trop élevée.
Serge Halimi, Renaud Lambert, Frédéric Lordon, Economiste à gages (2013)
[Erik Izarelewicz] Le suppément économique a été créé dès la fin des années 1960. Mais la rubrique sociale a longtemps primé sur l’activité économique. Depuis les années 1970, la couverture de l’actualité économique a occupé une place grandissante, avec la création d’une section couvrant indifféremment l’économique et le social. Depuis les années 1980, la couverture a une orientation plus micro-économique, avec des articles traitant plus régulièrement de la vie des entreprises.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
C’est de savoir pourquoi, lorsque la civilisation de l’Europe chrétienne eut pris l’avantage, toutes les autres se sont-elles mises à décliner, pourquoi ont-elles été marginalisées, d’une manière qui paraît aujourd’hui irréversible ?
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
La modernisation devient suspecte dès lorsqu’elle est est perçue comme le cheval de Troie d’une culture étrangère dominatrice.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
Il a fallu que les dirigeants nationalistes, Nasser en tête, arrivent à une impasse, tant par leurs échecs militaires successifcs que par leur incapacité à résoudre les problèmes liés au sous-développement, pour qu’une partie significative de la population se mette à prêter l’oreille aux discours du radicalisme religieux, et pour qu’on voie fleurir, à partir des années 1970, voiles et barbes protestataires.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
En somme, chacun d’entre nous est dépositaire de deux héritages : l’un, vertical, lui vient de ses ancêtres, des traditions, de son peuple, de sa communauté religieuse ; l’autre, horizontal, lui vient de son époque, de ses contemporains. C’est ce dernier qui est, me semble-t-il, le plus déterminant, et il le devient un peu plus encore chaque jour ; pourtant cette réalité ne se reflète pas dans notre perception de nous-mêmes. Ce n’est pas de l’héritage horizontal que nous nous réclamons, mais de l’autre.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
Si chacun de nous était sommé de se renier pour accéder à la modernité telle qu’elle définit et telle qu’elle se définira, la réaction passéiste ne va-t-elle pas se généraliser, et la violence aussi ?
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
On n’aurait pas besoin de longues démonstrations pour constater qu’un homme peut vivre sans aucune religion, mais évidemment pas sans aucune langue. […] On peut pratiquer à la fois l’hébreu, l’arabe, l’italien et le suédois, mais on ne peut être à la fois juif, musulman, catholique et luthérien. […] La langue a vocation à demeurer le pivot de l’identité culturelle, et la diversité linguistique le pivot de toute diversité.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
Toute personne a besoin de trois langues. La première, sa langue identitaire ; la troisième, l’anglais. Entre les deux, il faut obligatoirement promouvoir une deuxième langue, librement choisie.
Amin Mallouf, Les identités meurtrières (2013)
Dès qu’on se trouve dans une logique communautariste, le rôle des démocrates, partout dans le monde, n’est plus de faire prévaloir les préférences de la majorité, mais de faire respecter les droits des opprimés, au besoin contre la loi du nombre.
Chris Riddell, Apolline et le chat masqué (2013)
Apolline aimait résoudre les problèmes difficiles et concevoir des plans habiles. Elle trouvait ça encore plus amusant que les flaques.
Sarah Cohen-Scali, Max (2013)
Ceux qui ne tiennent pas encore leur tête sont couchés dans de jolis draps brodés. Sur le ventre. Position imposée sur le docteur Ebner qui a constaté que, vu la maléabilité des os crâniens, si la tête du bébé repose sur la tempe, cela accentue sa dolichocéphalie.
Louis Sacher, Le pitre de la classe (2013)
Récemment, il a installé une porte électrique au garage, et des toilettes toutes neuves au rez-de-chaussée. Maintenant, chaque fois qu’on pousse le bouton pour ouvrir le garage, ça actionne la chasse d’eau en bas. Tous les jours, quand il revient à la maison, il donne un coup de klaxon, et je cours tirer la chasse d’eau… pour ouvrir la porte du garage.
Susie Morgenstern, Mal fringuée (2013)
un jour que j’aidais à débarrasser la table, je lui [Tante Millie] ai demandé pourquoi elle n’attendait pas la fin du dessert pour faire la vaisselle et pourquoi elle se cloîtrait dans la cuisine. « Parce que la conversation ne l’intéresse pas, je préfère la vaisselle. » […] J’étais déterminée, quand je serais grande, à choisir la conversation plutôt que le tablier, et j’ai tenu bon.
Susie Morgenstern, Mal fringuée (2013)
Chargées de sacs, de boîtes et de paquets, nous nous sommes dirigées vers le parking, de très bonne humeur, victorieuses. Le but de la vie était atteint. Et tout ce butin allait finir à la maison. Maison ! Encore aujourd’hui, chaque fois que je trouve une paire de chaussures pour loger mes pieds d’ogresse, je les prends. C’est pour ça que j’ai des centaines de paires de chaussures… que je ne mets jamais.
Susie Morgenstern, Mal fringuée (2013)
Les vêtements parlent de notre classe sociale, de nos origines, de nos opinions, de notre état d’esprit et même de notre statut sexuel et de nos orientations. Est-ce que je ne préfère pas utiliser les mots pour tout ça au lieu de me révéler en un coup d”oe il ? Moi qui dis tout, est-ce que je veux garder au moins un secret ? Où suis-je simplement révoltée contre les conventions ? En fait, je pense que je suis tout simplement paresseuse !
Katrina Kittle, Le garçon d’à côté (2013)
Le hockey était la seule chose qui lui occupait assez l’esprit pour lui faire oublier, pendant quelques instants, que papa était mort… et que la vie, en ce moment, faisait chier.
Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux (2013)
Aujourd’hui encore, malgré la diversification et l’individualisation des pratiques communicationnelles permises par le développement des nouvelles technologies de communication, la sociabilité des classes populaires reste très fortement contenue à l’intérieur du cercle familial.
Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux (2013)
La « catégorie » ne peut être constituée de façon pertinente que si l’on regroupe les individus qui ont une relation similaire de commandement vis-à-vis des autres individus. […] Deux individus sont considérés comme structurellement équivalents s’ils ont exactement les mêmes relations avec les mêmes autres individus. Cette équivalence structurale se traduit dans la matrice d’adjacence par le fait que les lignes et les colonnes correspondant à ces deux individus doivent avoir, pour tous les autres individus, des valeurs strictement identiques. […] La notion d”équivalence régulière fut alors élaborée pour permettre de distinguer des ensembles de positions équivalentes dans des structure complexes : deux individus sont alors considérés comme équivalent, non plus s’ils ont des relations avec les autres parfaitement identiques, mais s’ils appartiennent à un ensemble dont globalement les éléments sont dans une même relation avec au moins un élément d’un autre ensemble donné. (logiciel CONCOR, REGE)
Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux (2013)
55% des Français avaient eu au moins un contact avec un voisin en 1983, contre seulement 51% en 1997. […] La précarisation du travail ne favorise pas l’établissement de contacts avec les collègues.
Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux (2013)
Les relations électroniques à distance sont désincarnées, déterritorialisées, désynchronisées.
Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux (2013)
Internet ne détermine pas les comportements sociaux, mais fournit aux relations sociales des possibilités de réalisations sous contraintes. […] Certes la diffusion des nouvelles technologies de communication semble s’accompagner d’un certain nombre de transformations (affaiblissement des liens, transformations de la notion de groupe, horizontalisation et informatisation des relations…), mais en réalité, ces transformations ont précédé Internet, se produisant dès les années 1960, et l’ont peut-être même suscité, plus qu’elles n’en sont les conséquences. C’est que, en réalité, les innovations techniques ne précèdent pas les usages, mais sont au contraire produites par eux, pour ensuite les incorporer et les outiller. L’autonomie et le fonctionnement en réseau ne sont pas les inventions d’Internet, ce serait plutôt Internet qui serait le produit de l’autonomie et du fonctionnement en réseau.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
La maladie, conséquence de la moindre résistance causée par le stress du surnombre, tuait plus d’animaux que la voracité des visons. […] Le rat musqué tend comme l’homme à devenir féroce lorsqu’il est stressé par la surpopulation. […] Calhoun constata que douze constitue le nombre maximum de rats susceptible de coexister harmonieusement dans un groupe naturel. […] Le rat, malgré sa résistance, ne peut supporter le désordre, et qu’à l’instar de l’homme, il a besoin de moments de solitude. […] Les moe urs sexuels des rats en phase cloacale subirent de profondes altérations, se traduisant notamment par une pansexualité et un sadisme endémique.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
[Adward S. Deevey] Si l’on assimile les besoins vitaux à des valeurs monnayables en sucre, le foie joue alors le rôle d’une banque. Les retraits numéraires courant ont lieu par l’entremise d’hormones provenant du pancréas et de la moelle surrénale qui jouent le rôle de caissiers. Mais les décisions majeures (concernant la croissance ou la reproduction, par exemple) relèvent des administrateurs de la banque, c’est-à-dire du cortex surrénalien et de l’hypophyse. Dans la théorie de Selye, le stress correspondrait à une défaillance des hormones tands que le choc serait la conséquence de chèques sans provision tirés par la direction.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
L’affaiblissement du sens olfactif et le faut que l’olfaction ait cessé d’être un moyen important de communication ont eu notamment pour conséquence la transformation des rapports humains. Peut-être l’homme a-t- il ainsi acquis une plus grande tolérance à l’entassement.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
On lit plus lentement dans les grandes pièces à temps de réflexion lent que dans les petites pièces.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Dans l’usage de leur appareil olfactif, les Américains sont culturellement sous-développés. L’usage intensif des désodorisants, l’habitude de désodoriser les lieux publics, ont fait des U.S.A. un pays olfactivement neutre et uniforme. […] Cela affecte le fonctionnement de la mémoire dans la mesure où les odeurs ont le pouvoir d’évoquer des souvenirs beaucoup plus profonds que les images ou le son.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Une femme prétendait qu’elle pouvait même dire l’état affectif de son boyfriend jusqu’à près de deux mètres de distance dans le noir. [par sensibilité thermique]
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
L’homme occidental perçoit les objets, mais non les espaces qui les séparent. Au Japon, au contraire, ces espaces sont perçus nommés et révérés sous le terme de ma, ou espace intercalaire.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
L’artiste [Rembrandt] l’avait peint [l”oe il dans son autoportrait] de telle façon, par rapport au reste du visage, que la tête toute entière semblait posséder trois dimensions et s’animait si on la regardait à la distance voulue. Je compris alors que Rembrandt avait su distinguer les visions fovéale, maculaire et périphérique.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
[Whorf] Aucun individu n’est libre de décrire la nature avec une impartialité absolue, mais contraint au contraire à certains modes d’interprétation alors même qu’il se croit le plus libre.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
20% de la totalité des mots inclus dans le petit dictionnaire d’Oxford se rapportent à l’espace ou ont une connotation spatiale.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
[David Thoreau, Walden] One inconvenience I sometimes experienced in so small a house, the difficulty of getting to a sufficient distance from my guest when we began to utter the big thoughts in big words. You want room for your thoughts to get into sailing trim and run a course or two before they make their port. The bullet of your thought must have overcome its lateral and ricochet motion and fallen into its last and steady course before it reaches the ear of the hearer, else it may plow out again through the side of his head. Also, our sentences wanted room to unfold and form their columns in the interval. Individuals, like nations, must have suitable broad and natural boundaries, even a considerable neutral ground, between them. I have found it a singular luxury to talk across the pond to a companion on the opposite side. In my house we were so near that we could not begin to hear, we could not speak low enough to be heard; as when you throw two stones into calm water so near that they break each other’s undulations. If we are merely loquacious and loud talkers, then we can afford to stand very near together, cheek by jowl, and feel each other’s breath; but if we speak reservedly and thoughtfully, we want to be farther apart, that all animal heat and moisture may have a chance to evaporate. If we would enjoy the most intimate society with that in each of us which is without, or above, being spoken to, we must not only be silent, but commonly so far apart bodily that we cannot possibly hear each other’s voice in any case. Referred to this standard, speech is for the convenience of those who are hard of hearing; but there are many fine things which we cannot say if we have to shout. As the conversation began to assume a loftier and grander tone, we gradually shoved our chairs farther apart till they touched the wall in opposite corners, and then commonly there was not room enough.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
La situation de coin où les interlocuteurs se situent de part et d’autre d’un angle suscite six fois plus de conversations qu’une situation en face à face à un mètre de distance et deux fois plus que la position où les interlocuteurs sont côte à côte.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
La disposition dos à dos est une bonne solution pour remédier au manque d’espace, car deux personnes peuvent ainsi s’isoler l’une de l’autre, si elles le désirent.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Les structures proxémiques trahissent la présence de différences fondamentales entre les peuples. […] A l’intérieur même des Etats-Unis, la « rénovation urbaine » et l’ensemble des crimes contre l’humanité que l’on commet en son nom témoigne d’une totale incapacité à créer des environnements plaisants pour les populations si différentes qui se déversent dans nos villes.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Dans les bureaux de cette firme, les portes ouvertes traumatisaient les Allemands et créaient à leurs yeux une atmosphère anormalement détendue et peu sérieuse. Les portes fermées donnaient au contraire aux Américains le sentiment d’une conspiration générale d’où ils étaient exclus.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Si l’on veut tenter de résoudre les problèmes posés par la rénovation des villes et la surpopulation urbaine, il est essentiel de savoir comment les populations concernées perçoivent l’espace et de quels sens elles se servent pour l’organiser.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Un appartement à la limite de l’habitabilité se révèlera inhabitable au moment précis où uen tour à appartements viendra priver ses habitants de toute vue.
Edward T. Hall, La dimension cachée (2013)
Notre préjugé « a-culturel » nous incline à croire que les différences entre les peuples ne sont que supeficielles. Pour cette raison, nous nous privons de l’enrichissement que nous procurerait la connaissance des autres cultures.
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
I have already had occasion to mention, indeed I have quoted, a certain high-browed gentleman living at Highbury, wearing a golden pince-nez and writing for the most part in that beautiful room, the library of the Reform Club. There he wrestles with what he calls « social problems » in a bloodless but at times, I think one must admit, an extremely illuminating manner. He has a fixed idea that something called a « collective intelligence » is wanted in the world, which means in practice that you and I and everyone have to think about things frightfully hard and pool the results, and oblige ourselves to be shamelessly and persistently clear and truthful and support and respect (I suppose) a perfect horde of professors and writers and artists and ill- groomed difficult people, instead of using our brains in a moderate, sensible manner to play golf and bridge (pretending a sense of humour prevents our doing anything else with them) and generally taking life in a nice, easy, gentlemanly way, confound him! Well, this dome-headed monster of intellect alleges that Mr. Polly was unhappy entirely through that.
[Antonio Gramsci] « A rapidly complicating society, » he writes, « which as a whole declines to contemplate its future or face the intricate problems of its organisation, is in exactly the position of a man who takes no thought of dietary or regimen, who abstains from baths and exercise and gives his appetites free play. It accumulates useless and aimless lives as a man accumulates fat and morbid products in his blood, it declines in its collective efficiency and vigour and secretes discomfort and misery. Every phase of its evolution is accompanied by a maximum of avoidable distress and inconvenience and human waste….
« Nothing can better demonstrate the collective dulness of our community, the crying need for a strenuous intellectual renewal than the consideration of that vast mass of useless, uncomfortable, under-educated, under-trained and altogether pitiable people we contemplate when we use that inaccurate and misleading term, the Lower Middle Class. A great proportion of the lower middle class should properly be assigned to the unemployed and the unemployable. They are only not that, because the possession of some small hoard of money, savings during a period of wage earning, an insurance policy or suchlike capital, prevents a direct appeal to the rates. But they are doing little or nothing for the community in return for what they consume; they have no understanding of any relation of service to the community, they have never been trained nor their imaginations touched to any social purpose. A great proportion of small shopkeepers, for example, are people who have, through the inefficiency that comes from inadequate training and sheer aimlessness, or improvements in machinery or the drift of trade, been thrown out of employment, and who set up in needless shops as a method of eking out the savings upon which they count. They contrive to make sixty or seventy per cent, of their expenditure, the rest is drawn from the shrinking capital. Essentially their lives are failures, not the sharp and tragic failure of the labourer who gets out of work and starves, but a slow, chronic process of consecutive small losses which may end if the individual is exceptionally fortunate in an impoverished death bed before actual bankruptcy or destitution supervenes. Their chances of ascendant means are less in their shops than in any lottery that was ever planned. The secular development of transit and communications has made the organisation of distributing businesses upon large and economical lines, inevitable; except in the chaotic confusions of newly opened countries, the day when a man might earn an independent living by unskilled or practically unskilled retailing has gone for ever. Yet every year sees the melancholy procession towards petty bankruptcy and imprisonment for debt go on, and there is no statesmanship in us to avert it. Every issue of every trade journal has its four or five columns of abridged bankruptcy proceedings, nearly every item in which means the final collapse of another struggling family upon the resources of the community, and continually a fresh supply of superfluous artisans and shop assistants, coming out of employment with savings or “help” from relations, of widows with a husband’s insurance money, of the ill-trained sons of parsimonious fathers, replaces the fallen in the ill-equipped, jerry- built shops that everywhere abound…. »
I quote these fragments from a gifted, if unpleasant, contemporary for what they are worth. I feel this has come in here as the broad aspect of this History. I come back to Mr. Polly sitting upon his gate and swearing in the east wind, and I so returning have a sense of floating across unbridged abysses between the General and the Particular. There, on the one hand, is the man of understanding, seeing clearly, I suppose he sees clearly, the big process that dooms millions of lives to thwarting and discomfort and unhappy circumstances, and giving us no help, no hint, by which we may get that better « collective will and intelligence » which would dam the stream of human failure, and, on the other hand, Mr. Polly sitting on his gate, untrained, unwarned, confused, distressed, angry, seeing nothing except that he is, as it were, nettled in greyness and discomfort, with life dancing all about him; Mr. Polly with a capacity for joy and beauty at least as keen and subtle as yours or mine.
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
Sans connaître personnellement M. Polly, il aurait tout de suite reconnu en lui « une de ces unités mal adaptées, qui pullulent dans une société impuissante à créer une intelligence et une volonté collectives, capables d’organiser l’ordre qu’aurait nécessité sa complexité ».
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
Une sorte de fatalité présida aux préparatifs du mariage. M. Polly essayait de se persuader qu’il n’agissait que de sa propre initiative, mais au fond de lui-même il était bien forcé de s’avouer l’impuissance absolue de toute résistance aux gigantesques forces sociales qu’il avait mises en branle.
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
Cette poignée de gens, perdus au milieu de la nef obscure, parmi les rangées de chaises vides et les coussins et livres de prières abandonnés, ne faisait qu’en accentuer la froideur déserte : la disproportion était même un peu ridicule.
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
Une fois son capital engagé dans une affaire, on s’aperçoit qu’il ne sera peut-être pas facile de l’en retirer : si les clients ne veulent pas affluer chez vous de bon gré, il se trouve des lois pour fixer des limites à la pression que vous pouvez exercer sur eux.
H.G. Wells, L’histoire de M. Polly (2013)
Une fois qu’un mortel est arrivé à rompre la mince cloison de papier qui endiguait ses faits et gestes journaliers - cloison insignifiante sans doute, mais qui n’en n’est pas moins, pour la plupart d’entre nous, la plus sûre des prisons depuis le berceau jusqu’à la tombe - ce mortel privilégié a fait une découverte, et il a dit : « Si notre monde ne nous plaît pas, nous pouvons en changer. »
Casey Watson, La petite fille qui criait au secours (2013)
Chaque jour venait à prouver à quel point j’étais mal préparée pour aider cette enfant.
Casey Watson, La petite fille qui criait au secours (2013)
C’était presque comme si elle ne s’autorisait pas à être heureuse. Chaque instant de plaisir devait immédiatement être expié par une sorte d’autoflagellation qu’elle s’imposait. C’était comme si elle voulait que tout le monde haïsse le monstre qu’elle croyait être.
Casey Watson, La petite fille qui criait au secours (2013)
Nous continuions à vivre cette existence en yo-yo et personne, ni elle ni moi, ne semblait savoir ce qui allait arriver ensuite. Elle ne parvenait pas à se maîtriser, et je n’arrivais pas à la maîtriser… Comment allions-nous briser ce cercle infernal ?
Murray Leinster, Un logique nommé Joe (2013)
Il n’est pas méchant [Joe], voyez-vous. Il n’est pas comme un de ces robots pleins d’ambition dont vous avez lu l’histoire et qui ont décidé que la race humaine est incompétente et qu’il faut l’anéantir pour la remplacer par des machines pensantes. Joe est seulement ambitieux. Si vous étiez une machine, vous auriez envie de travailler correctement, non ? Ca c’est Joe. Il veut travailleur correctement. Et c’est un logique.
Jules Romains, Knock (2013)
Songez que, pour tout ce monde, leur premier office est de rappeler mes prescriptions.
Michel Serres, Petite Poucette (2013)
Les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d’enseignement.
Michel Serres, Petite Poucette (2013)
Devant l’offre croissante de savoir en nappe immense, partout et toujours accessible, uen offre ponctuelle et singulière devient dérisoire.
Michel Serres, Petite Poucette (2013)
N’importe quel Petit Poucet de la ruue tranche sur le nucléaire, les mères porteuses, les OGM, la chimie, l’écologie. Il y a présomption de compétence.
Michel Serres, Petite Poucette (2013)
Que la complexité prolifère, à la bonne heure ! Mais elle a un coût : multiplication et longueur des files d’attente, lourdeurs administratives, encombrements dans les rues, difficultés d’interpréter des lois sophistiquées, dont la densité fait, en effet, décroître la liberté. On paie toujours dans la monnaie où l’on gagne.
Paolo Bacigulupi, Les ferrailleurs des mers (2013)
Si tu penses que tu as une moralité, c’est parce que tu n’as pas besoin d’argent.
Jean-Claude Kaufman, Le Sac (2013)
Tout sac qui se respecte à sa hiérarchie interne. Les objets les plus souvent utilisés sont normalement sur le dessus, alors que les autres glissent dans les profondeurs. So loin parfois qu’ils finissent par se faire oublier, formant une couche sédimentaire.
Jean-Claude Kaufman, Le Sac (2013)
Le patron d’une boîte échangiste relate ce fait très révélateur : désireux de faire la chasse aux prostituées qui tentent de s’insinuer dans son établissement, il les repère à son sac à main ! Car, en bonnes professionnelles très averties des risques, elles les gardent avec elles pendant leurs ébats. Les autres femmes les abandonnent pendant qu’elles s’abandonnent.
Jean-Claude Kaufman, Le Sac (2013)
Je me souviens encore du sac de ma grand-mère, dans les années 1950. Il était petit, noir et contenait une carte d’identité, un beau mouchoir en tissu qui sentait l’eau de Coogne et un chapelet… Le sac continu de s’alourdir, contre le rêve de légèreté.
Deborah Devonshire, Duchesse à l’anglaise (2013)
Rien ne m’agace plus que plus que ces jeux de devinettes sur la sexualités des amis et parents. Seuls les êtres comptent ; leur privée ne devrait concerne qu’eux mêmes.
Deborah Devonshire, Duchesse à l’anglaise (2013)
M. Clegg passait ses journées à frotter le sol. […] Une fois, à Noël, M. Clegg s’est porté volontaire pour tenir la maison du jardin, une fonction qui impliquait d’ouvrir et fermer les grilles donnant sur l’allée privée. Je suis allée lui rendre visite dans sa petite loge où la personne de service était censée garder un oe il ouvert dans l’attente d’intrus qui ne venaient jamais. M. Clegg ne surveillait rien. Il était plongé dans un livre. Je lui ai demandé ce qu’il lisait et il m’a montré le titre de l’ouvrage : Algèbre supérieure. Il est impossible d’enformer quelqu’un dans une catégorie - j’ai retenu la leçon.
Deborah Devonshire, Duchesse à l’anglaise (2013)
Vivre avec une victime d’une quelconque dépendance, qu’il s’agisse de jeu, de drogue, d’alcool ou même d’achats compulsifs - tout ce qui relève de l’excès - est épuisant. Si vous n’y êtes jamais été confronté, il est difficile, voire impossible, de comprendre de quoi il s’agit. Le malade change de personnalité. […] J’ai appris qu’il y a une conduite à tenir ; c’est une méthode développée en Amérique qui a fait ses preuves dans le monde entier. Il faut payer le prix fort : le patient doit toucher le fond et accepter l’humiliation de crier au secours, et c’est un spectacle douloureux, mais cela en vaut vraiment la peine. J’ai consulté des thérapeutes qui m’ont dit qu’il était essentiel de retirer ses « béquilles » à Andrew et d’exposer son problème au grand jour.
… …, … (2013)
Parfois, elle était dans l’urgence de s’exprimer. Elle choisissait les premiers mots qui lui venaient et mettait ses interlocuteurs dans l’urgence de la comprendre. Tous ces quiproquos, ces tensions naissaient de son mutisme qui vous explosait urgemment des évidences qu’on tentait encore d’élucider alors qu’elle dormait à vos côtés. Cette femme avait le don de puiser dans votre sommeil toute l’énergie du lendemain. Un bonheur épuisant, surtout pour l’autre.
Sevim Riedinger, Le monde secret de l’enfant (2013)
Aucun adulte n’était présent pour recueillir, attraper au vol les questions et les porter plus loin. Que veut exprimer l’enfant, souvent au-delà des premiers mots et du visible apparent ?
Sevim Riedinger, Le monde secret de l’enfant (2013)
Quand l’enfant grandit, vers sixx ans - quand il entre dans ce temps de latence où l’imaginaire cède du terrain à l’intellect -, il apprendra à ne plus livrer sa poussière d’or aussi spontanément qu’il le faisait auparavant. La rêverie entre en sommeil. Elle n’en continue pas moins de rester associée à la construction de la pensée et à l’accès aux connaissances. En retrait mais non moins présente. L’intellect seul peut-être comme ce vent du désert qui dessèche les jeunes pousses, les empêchant d’éclore dans leur variabilité infinie. Avant même qu’ils n’aient fait l’effort premier, ils sont étouffés.
Sevim Riedinger, Le monde secret de l’enfant (2013)
Plus le langage est pauvre, plus la pensée s’effrite car elle n’a rien sur quoi s’appuyer.
Sevim Riedinger, Le monde secret de l’enfant (2013)
Salomé a toutes les peines du monde à démonter sa colère, à entendre que sa maman n’a pas tous les pouvoirs. Que celle- ci n’a pas voulu lui faire de la peine en ne lui disant pas toute la vérité. « Je ne peux pas commander à mon coe ur, me répond-elle avec une étonnante maturité. Je lui en veux. »
Sevim Riedinger, Le monde secret de l’enfant (2013)
Ses murmures ralentissent le temp. Toute la famille se met maintenant à retenir son souffle pour l’entendre. Elle jubile, sans aucun doute, tout en maintenant une tension pyschique hors du commun. Tenir une même posture sans défaillir relève d’un art de la dissimulation des plus rares.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
Si seulement, en plein marasme économique, Herbert Hoover n’avait pas essayé de présenter un bugdget en équilibre pour les Etats-Unis ; si la Réserve Fédérale n’avait pas défendu l’étalon-or aux dépens de l’économie nationale ; si, de surcroît, l’Administration avait pris la décision de renflouer les banques chancelantes et désamorcé ainsi la panique bancaire qui s’était développé en 1929-1931, le krack boursier de 1929 aurait abouti à une banale récession qu’on aurait très vite oubliée.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
La réussite apparente d’une économie, l’admiration portée à ses dirigeants par les marchés et les médias ne garantissent nullement que cette économie fût à l’abri d’une crise financière soudaine.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
L’expression « risque moral » vient du mondes des assurances. tout au début, les courtiers d’assurances contre l’incendie notamment remarquèrent que les propriétaires totalement couverts contre les risques de destructions avaient une tendance significative à être plus fréquemment victime d’incendies destructeurs - particulièrement lorsque la situation économique avait fait baisser la valeur marchande probable de leur immeuble à un niveau plus bas que la couverture garantie par l’assureur. (Au milieu des années 1980, la ville de New-York comptait un nombre non négligeable de propriétaires pyromanes, dont certains achetaient un immeuble à un prix exorbitant à une société- écran qui en fait leur appartenait, utilisant ce prix d’achat comme référence pour contracter une bonne police d’assurance, puis étaient victime d’un incendie. Risque moral, en effet.) A la longue, le terme « risque moral » en arriva à désigner toute situation dans laquelle une personne prend une décision relative au niveau de risque à courir tandis que quelqu’un d’autre en supporte le coût lorsque les choses tournent mal.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
Pendant les années 1970, les Sweeney étaient membres d’une coopérative de baby-sitting : une association constitutée de jeunes couples, travaillant presque tous au Congrès, qui désiraient prendre en charge mutuellement la garde de leurs enfants. Cette coopérative d’un genre particulier avait une taille peu commune, près de cent cinquante couples ; c’est dire le nombre de baby-sitters potentiels, mais aussi la difficulté d’exploitation d’une telle structure - il faut assurer en particulier que chaque couple s’acquitte de sa quote-part.
A l’instar de nombreuses institutions de ce genre (et d’autres formes de troc), la coopérative de Capitol Hill résolut le problème en émettant ses propres titres : des coupons donnant droit au porteur à des heures de baby-sitting. Lorsqu’ils gardaient des bébés, les baby- sitters recevaient un nombre de coupons correspondant au nombre d’enfants. Le système était conçu pour empêcher le resquillage : il assurait automatiquement que chaque couple, en fin de compte, fournirait autant d’heures de baby-sitting qu’il en aurait lui-même utilisé.
Mais ce n’était pas si simple, un tel système requiert la circulation d’une quantité considérable de bons. Les couples disposant de plusieurs soirées libres d’affilée, et sans projet immédiat de sortie, allaient essayer de se constituer des réserves pour les utiliser ultérieurement ; cette accumulation se ferait aux dépens des réserves des autres couples, mais il était probable que chaque couple chercherait à détenir suffisamment de coupons pour sortir plusieurs fois entre les épisodes de baby-sitting qu’il assurerait. L’émission de coupons dans la coopérative de Capitol Hill était compliquée : les couples recevaient des coupons lorsqu’ils adhéraient, ils étaient censés les rembourser lorsqu’ils la quittaient ; mais ces coupons leur servaient également à payer des cotisations pour rémunérer les administrateurs, etc. Les détails ne sont pas importants ; le fait est est qu’il arriva un moment où il y eut trop peu de coupons en circulation - trop peu pour couvrir les besoins de la coopérative.
Le résultat fut surprenant. Les couples qui jugeaient leur réserve de coupons insuffisante se montrèrent plus désireux de faire du baby-sitting et réticents pour sortir. Mais il fallait qu’un couple décide de sortir pour qu’un autre couple puisse faire du baby- sitting. Dans ces conditions, les occasions d’en faire devinrent rares, ce qui rendit les couples encore plus hésitants à utiliser leur réserve, sauf pour des occasions exceptionnelles, attitude qui contribua à raréfier encore davantage les occasions de faire du baby- sitting…
Bref, la coopérative était entrée en récession.
[…]
Les administrateurs de la coopérative traitèrent le problème comme s’il s’agissait de ce qu’un économiste appellerait un problème « structurel », nécessitant une intervention directe : on instaura une règle exigeant que chaque couple sorte au moins deux fois par mois. Finalement, l’avis des économistes prévalut néanmoins et on augmenta de façon notable le volume des coupons. Le résultat fut magique : disposant de réserves de coupons plus importantes, les couples eurent davantage envie de sortir, ce qui augmenta notablement l’offre de garde d’enfant, agmentation qui incita à sortir davantage, etc. Le PBB - produit de baby-sittin brut, mesuré en unité de garde d’enfants - fit un bond en avant. Cela ne tenait pas à ce que les couples fussent devenus de meilleurs baby-sitters, ou que la coopérative eût enclenché un quelconque processus de réforme radicale, cela tenait uniquement à l’assainissement du désordre monétaire. En d’autres termes, un moyen de combattre les récessions consiste à créer de la monnaie, tout simplement - et quelques fois, la plupart du temps même, on les guérit très facilement.
[…]
Il nous faut imaginer une coopérative dont les membres ont pris conscience qu’il y a dans leur système une imperfection qui n’est pas nécessaire : il y a des cas où un couple a besoin de sortir plusieurs soirs de suite, et où il se trouve à court de coupons - et donc dans l’incapacité de faire garder ses enfants -, même s’il est tout à fait prêt à compenser ce service en gardant des enfants fréquemment à partir d’une data ultérieure. Pour résoudre ce problème, nous supposerons que la coopérative a permis à ses membres d’emprunter des coupons supplémentaires auprès de la direction, en cas de besoin, le remboursement s’effectuant plus tard à l’aide de coupons reçus à l’occasion des gardes d’enfants qu’ils auraient effectuées.
[…]
Avec ce nouveau système, les couples garderaient des réserves de coupons moins importantes qu’auparavant, sachant qu’ils pourraient en emprunter en cas de nécessité. Les responsables de la coopérative auraient acquis de surcroît un nouvel instrument de gestion. Si les membres de la coopératives signalaient qu’il était facile de trouver des baby-sitters et difficile de trouver des enfants à garder, les termes d’emprunt de coupons pourraient être assouplis, encourageant davantage de personnes à sortir. Si, au contraire, les baby-sitters étaient rares, les termes seraient durcis, incitant les gens à rester chez eux.
Autrement dit, cette coopérative plus complexe aurait une Banque centrale capable de stimuler une économie déprimée, en abaissant le taux d’intérêt, et de refroidir une économie en surchauffe en relevant ce taux.
[…]
Imaginez que l’on observe un caractère saisonnier dans la demande et dans l’offre de baby-sitting. Pendant l’hiver, il faut froid et sombre, les couples n’ont pas trop envie de sortir, ils restent volontiers chez eux et cherchent à garder les enfants des autres - accumulant ainsi des points qu’ils pourront utiliser pour les nuits parfumées de l’été. Si cette périodicité n’est pas trop marquée, la coopérative peut maintenir un équilibre entre l’offre et la demande de baby-sitting, en demandant des taux d’intérêts plus bas pendant les mois d’hiver et des taux élevés durant l’été. Mais supposez que cette saisonnalité soit très forte. En hiver, même avec un taux d’intérêt nul, il y a plus de couples qui chercheront à garder des enfants qu’il n’y en aura qui sortiront ; ce qui veut dire que les couples qui veulent constituer des réserves pour les loisirs d’été seront moins enclins à les utiliser l’hiver, ce qui représente donc moins d’occasins de baby-sitting… et la coopérative glissera dans la récession même avec un taux d’intérêt nul.
[…]
Comme tout économiste devrait immédiatement le voir, la réponse consiste à fixer le prix juste : faire en sorte que les points gagnés pendant l’hiver soient dévalués si on les conserve jusqu’à l’été, disons qu’une provision de cinq heures de baby-sitting l’hiver ne correspondrait, l’été, qu’à quatre heures de baby-sitting.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
L’économie n’est pas un ensemble de vérités, mais un instrument pour découvrir la vérité concrète. Ou pour le dire plus simplement, les vieux modèles peuvent être enseignés à seule fin de bâtir de nouveaux stratégèmes.
Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours (2013)
L’économie de la dépression étudie justement des situations où il y a des repas gratuits, pour peu que l’on parvienne à savoir comment s’y prendre, dans la mesure où il existe des ressources encore inexploitées qui pourraient être mises en valeur. La vraie rareté dans le monde de Keynes - et dans le nôtre - n’est donc pas celle des ressources, ni même de la vertu, mais celle de l’entendement.
Néanmoins, nous n’accèderons pas à l’entendement qui nous est nécessaire à moins que nous ne décidions de formuler clairement nos problèes et de suivre nos réflexions om qu’elles nous conduisent. Certains prétendent que nos problèmes économiques sont structurels et qu’il n’existe pas de remède miracle. Je pense, pour ma part, que les seuls obstacles sont les doctrines obsolètes qui encombrent l’esprit des hommes.
Cédric Villani, Théorème vivant (2013)
On dit que John Nash, mon héros mathématique, avait coutume de se mettre sous une pression invraisemblable en annonçant des résultats qu’il ne savait pas encore démontrer.
Cédric Villani, Théorème vivant (2013)
Tout en écoutant le conférencier, j’arpente à l’occasion le fond de la salle en chaussettes. C’est idéal pour activer les idées.
Cédric Villani, Théorème vivant (2013)
Ce jour-là on est passé à un cheveu de l’abandon du projet. Plusieurs mois de travail ont failli disparaître - au mieux au réfrigérateur, au pire en fumée.
Lionel Duroy, L’hiver des hommes (2013)
Rien ne peut changer ce qui s’est passé. On ne peut que mentir pour s’en remettre.
Lionel Duroy, L’hiver des hommes (2013)
Je ne pense même pas qu’il ait été antisémite à l’origine. C’est ce qu’on attendait de lui, alors il l’est immédiatement devenu. A cette époque, il était tellement faible et opportuniste.
Arthur Schopenhauer, L’art de se faire respecter (2013)
Car le cercle d’activité de chacun est le juge de son honneur et que l’apparence fallacieuse trompe certes facilement l’individu, mais difficilement tout le monde.
Arthur Schopenhauer, L’art de se faire respecter (2013)
Il est difficile de dissuader par des menaces des gens habitué à jouer avec leur vie.
Arthur Schopenhauer, L’art de se faire respecter (2013)
Les lois ne peuvent s’en prendre qu’aux effets et non pas à la cause du mal.
Arthur Schopenhauer, L’art de se faire respecter (2013)
La vérité, le savoir, l’intelligence et l’esprit n’ont plus qu’à disparaître, battus et balayés par une divine grossièreté. C’est pourquoi les gens d’honneur, dès que quelqu’un émet ne serait-ce qu’une opinion qui s’écarte de la leur et ménace de se révéler plus juste, s’apprêtent aussitôt à monter sur leurs grands chevaux et à prendre l’attitude requise.
Aldo Naouri, Eduquer des enfants (2013)
Son seul problème, c’est que dans le long cataligue de ses valeurs morales, ne figure en aucune manière la notion d’effort.
Aldo Naouri, Eduquer des enfants (2013)
La maîtrise de la contraception, qui a débouché sur les procréations médicalement assistées avant d’aboutir au stupide concept du droit à l’enfant, a fait de lui un pur produit - à entendre dans le sens que lui donne la société de consommation -, alors que tout au long de l’histoire, il avait été vécu comme un sous-produit de l’activité sexuelle de ses parents.
Aldo Naouri, Eduquer des enfants (2013)
L’enfant est passé du statut de sous-produit au statut de pur-produit. Il sera alors pensé sur ce mode dans le cadre de la pensée de la société de consommation qui inclut le fameux critère de zéro défaut lancé par les constructeurs de voitures japonaises. Il devra être parfait, performant et source inépuisable de satisfaction.
Aldo Naouri, Eduquer des enfants (2013)
L’ensemble des conseils que je fournis sotn destinés à mettre en place chez l’enfant un sentiment de frustration.
Albert Cohen, Le livre de ma mère (2013)
Ce qui est laid, c’est que sur cette terre il ne suffise pas d’être tendre et naïf pour être accueilli à bras ouverts.
Albert Cohen, Le livre de ma mère (2013)
Pour les plantureux repas, il y avait toujours de bonnes raisons.
Zoé Shepard, Ta carrière est fi-nie ! (2013)
80 % des réunions ont pour principal objectif, voire pour unique objectif, de permettre à l’ahuri qui les dirige de s’écouter parler.
Zoé Shepard, Ta carrière est fi-nie ! (2013)
Bienvenue dans le monde merveilleux de la com où PowerPoint est devenu une unité de mesure.
Pierre-François Souyri, Histoire du Japon Médiéval (2013)
Le shôgunat fondé par Minamoto no Yoritomo dans les années 1180-1192 allait constituer le cadre institutionnel gouvernemental permmettant aux couches guerrières d’assurer leur domination politique sur le pays pour près de sept siècles. Ce système ne sera définitivement aboli qu’en 1867-1868.
Pierre-François Souyri, Histoire du Japon Médiéval (2013)
A la différence des moines des autres sectes, les moines zen refusent de s’armer et n’ont jamais représenté un pouvoir militaire dangereux.
Pierre-François Souyri, Histoire du Japon Médiéval (2013)
Le Japon médiéval reste une société de pouvoirs éclatés.
Pierre-François Souyri, Histoire du Japon Médiéval (2013)
L’emploi de la monnaie dans les transactions naît des difficultés de transport des redevances en nature et des opérations de troc qu’impliquait la mise sur le marché des produits domaniaux.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
Un fait est quasi certain : quelle que soit la région du globe où ils vivaient, et pendant un temps qui s’est étalé sur des dizaines de milliers d’années, les hommes du Paléolithique ont nourri des sentiments religieux d’une surprenante similarité.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
Le sacrifice n’est pas un acte expiatoire, mais un moyen de détourner la violence inhérente à tout groupe, de lui trouver un exutoire qui en sera le bouc émissaire, et de protéger le clan de cette pulsion qui lui est consubsantielle.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
A mesure que les temples s’agrandissent, que les rituels se complexifient, le service des dieux requiert un personnel de plus en plus nombreux. […] A l’image de l’administration civile, des chefferies s’instituent et des hiérarchies de forment, une bureaucratie sacerdotale se met en place.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
La deuxième épopée, le Mahabharata, est l’un des plus longs poèmes de l’humanité avec ses cent mille shloka ou strophes de quatre vers chacune.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
Le bouddhime n’a jamais hésité à se conjuguer avec les pratiques antérieures, ce qui explique d’une part la multiplicité de ses visages, d’autre part la facilité de sa diffusion.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
Durant les trois premiers siècles de l’islam, les interprétations du Coran en tant que source de lois se font en pagaille.
Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions (2013)
Au fil des millénaires, la rationalité n’a cessé de croître dans la manière dont l’homme s’est représenté le monde et dans ses diverses activités pour s’organiser, ordonner, classer. Ce processus a conduit à de profondes révolutions techniques et sociales. Il a eu aussi un impact décisif dans l’évolution de la religion. Il est la cause selon Weber du désenchantement du monde.
Donald Kagan, Périclès, la naissance de la démocratie (2013)
Si la démocratie paraît aller de soi pour nos contemporains, elle est en fait l’une des fleurs les plus rares, les plus délicates et les plus fragiles qui aient poussé dans la jungle de l’expérience humaine. Elle n’a survécu que deux siècles à Athènes. […] Quand elle réapparut dans le monde occidental, plus de deux mille ans après, elle était à la fois plus large et plus superficielle. Les révolutions française et américaine étendirent la citoyenneté plus généreusement qu’en Grèce, en n’excluant - à terme - que les enfants de la participation politique. Mais les démocraties modernes mais aussi lointaines, plus indirectes, moins « politique » dans l’acceptation antique du terme.
Donald Kagan, Périclès, la naissance de la démocratie (2013)
Périclès ne détenait le pouvoir que pour un an et pouvait le perdre en dix occasions au moins durant ce laps de temps si l’Assemblée en décidait ainsi par son vote.
Donald Kagan, Périclès, la naissance de la démocratie (2013)
Tant qu’il le pouvait, il préférait atteindre son but par la diplomatie plutôt que par la guerre.
Donald Kagan, Périclès, la naissance de la démocratie (2013)
Les nobles grecs vivaient conformément à l’idéal de l’amateur accompli : ils étaient bons dans plusieurs domaines - musique, athlétisme, guerre entre autres -, mais en amateurs pas en professionnels. l’idée platonicienne selon laquelle chacun doit s’investir dans ce pour quoi il est le plus doué aurait choqué les nobles grecs, comme les Athéniens décrits par leur stratège.
Vincent Chabault, Vers la fin des libraires ? (2013)
Des enquêtes menées par les opérateurs ont montré que lorsqu’un client découvre que la référence commandée n’est pas en stock et ne lui sera pas livrée avant deux ou trois semaines, il interrompt ses achats et sollicite les libraires concurrents.
Valérie Clo, Les gosses (2013)
Quand mon fils ouvre le frigo, mêem s’il est vide, il trouve toujours quelque chose à manger.
Valérie Clo, Les gosses (2013)
Ma mère, par exemple, ne s’est toujours pas réveillée de la grande illusion. Elle pense toujours que mes frères et moi lui appartenont et qu’elle a le pouvoir de nous faire changer.
Nassim Nicholas Taleb, Le cygne noir (2013)
Une profession scalable n’est satisfaisante que si on réussit ; la concurrence y est beaucoup plus rude, elle génère des inégalités monumentales et est beaucoup plus aléatoire.
Nassim Nicholas Taleb, Le cygne noir (2013)
Supposons que vous vivez dans une ville possédant deux hôpitaux, un grand et un petit. Un jour, 60% des enfants nés dans un deux hôpitaux sont des garçons. De quel hôpital peut-il s’agir ?